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Portrait du juré Roland KAUFFMANN (France)

Portrait du juré Roland KAUFFMANN (France)

Pasteur de l’UEPAL (Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine), en charge de l’animation culturelle et spirituelle du temple Saint-Étienne de Mulhouse. Fut responsable du service communication de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine et directeur de la médiathèque protestante de Strasbourg. Il anime un groupe Pro-Fil de réflexion sur le cinéma, ainsi que plusieurs sites de vulgarisation théologique.

Comment abordez-vous ce Jury œcuménique à Cannes ? Quelles sont vos attentes, espérances ?

Avec beaucoup d’humilité. On s’inscrit dans une lignée de Jurys œcuméniques qui ont primé de très grands films et il faudra être à la hauteur de cette exigence. C’est aussi répondre à l’attente de ceux que nous représentons. Je ne parle pas là de nos Églises mais de tous ceux qui sont intéressés par les relations entre la culture et la spiritualité. Je pense à ces groupes de cinéphiles, à ces groupes de paroisses, à des lecteurs de nos revues chrétiennes qui attendent notre avis pour en tenir compte dans leur propre réflexion et leur appréciation des films proposés. On se dit toujours, "si le Jury œcuménique l’a choisi, c’est que c’est un bon film, profond et intelligent, allons-y". C’est cette attente là qu’il ne faudra pas décevoir. Moi, je suis seulement comme un enfant dans la meilleure pâtisserie du monde.

Comment le cinéma est entré dans votre vie ?

Comme souvent, c’est durant l’enfance et l’adolescence que tout se joue, que se crée le rapport que l’on entretient ou pas avec la culture. Je viens d’un milieu où l’on allait très rarement au cinéma et seulement pour les Walt Disney. Mais dans le quartier, il y avait deux centres culturels et on y allait avec l’école, puis est venu le moment d’y aller tout seul pour voir Terence Hill et Bud Spencer ou encore Y-a-t-il un pilote dans l’avion.
On ne dira jamais assez l’importance de ces structures associatives qui font un travail extraordinaire dans les quartiers ou dans les périphéries et qui sont vraiment les portes d’entrées dans le monde du cinéma. L’une de ces structures de mon enfant existe toujours, c’est aujourd’hui le cinéma Bel-Air à Mulhouse, une salle unique d’art et essai avec une superbe équipe qui se bat tous les jours pour continuer. Ils méritent un vrai coup de chapeau qui soit une reconnaissance pour ces sorties scolaires, tous ces cinémas de quartiers ou les ciné-clubs partout en France. On y voit des choses époustouflantes. Quand on vient d’un milieu populaire, on a besoin d’une médiation, de structures qui font découvrir ce qui existe et qui est différent de notre réalité tout en correspondant à celle-ci, afin de pouvoir s’inclure dans un récit collectif.
Je veux dire par là que même dans un récit d’aventure situé au 12e siècle chinois, ce qui va faire la différence entre un divertissement et un film de cinéma, c’est la correspondance avec ce que nous vivons, chacun, ici et maintenant dans notre contexte. En d’autres termes, le cinéma est tout entier dans cet écart entre ce que je vis, ce que je suis, que ce soit individuellement ou en société et l’histoire qui nous est racontée. Mais l’écart ne veut pas dire séparation, au contraire, l’écart cinématographique, c’est ce qui relie, met en tension, en contradiction, en attraction ou en répulsion, en bref ce qui émeut, mobilise, motive. Pour reprendre un néologisme d’Antonio Damasio, le cinéma c’est ce qui nous "empuissante" plutôt que de nous "impuissanter". Autrement dit ce qui nous aide à critiquer, à comprendre, à agir, à devenir d’une certaine façon les acteurs de nos existences, individuellement ou collectivement. C’est pourquoi je suis très sensible aux films qui nous montrent des individus ou des groupes qui prennent ou reprennent la maîtrise de leur destin.

Quels sont les 3 films majeurs pour vous personnellement ?

Je changerai sans doute d’avis demain matin parce que la relation que l’on entretient avec les films change avec les années, avec les situations que l’on traverse. Donc ça n’a pas vraiment d’importance de savoir que j’ai été bouleversé par tel ou tel film qui serait majeur pour moi ou que je mettrais au Panthéon du cinéma. Mais ce qui a déterminé mon rapport au cinéma dont je parlais à l’instant, c’est L’Homme au bras d’or d’Otto Preminger que j’ai vu adolescent au Cinéma de Minuit à la télévision. Le moment précis où Frankie, joué par Franck Sinatra, va reprendre de l’héroïne m’a fait prendre conscience, à la fois de la fragilité de nos résolutions, de notre faiblesse de notre condition humaine mais de la pertinence du choix biblique : "j’ai mis devant toi la vie et la mort, choisis la vie afin que tu vives" (Deutéronome 30, 19). Cette alternative biblique mais qui est aussi celle de toutes les cultures, de tous les lieux et de toutes les époques, qui nourrit tant de films est aussi celle de nos existences individuelles ou collectives. Avec L’Homme au bras d’or, j’ai pris à la fois conscience de cette alternative mais aussi du fait qu’énormément de films ont ainsi des références bibliques en sous-texte. C’est particulièrement vrai du cinéma anglo-saxon qui est profondément imprégné, pas seulement de christianisme mais de culture biblique au sens le plus large.

De même, avez-vous un(e) réalisateur(rice) « coup de cœur » ?

Je suis un inconditionnel de Clint Eastwood qui creuse justement imperturbablement ce sillon que j’évoquais plus haut : comment un individu, ou un groupe, prend ou reprend, les rênes de son existence. C’est particulièrement le cas dans un film méconnu et injustement méprisé à mon avis par la critique, Le maître de guerre ou comment un instructeur des Marines fait prendre conscience de sa valeur une escouade de loosers. Ce n’est pas l’instructeur qui réussit mais l’escouade qui va se révéler à elle-même pour ce qu’elle est. Ce n’est pas le cavalier solitaire qui sauve les villageois mais les mineurs de Pale Rider qui reprennent confiance en leur capacité d’agir et de résister. C’est à mon avis, une constante de tous ses films, souvent déjà en tant qu’acteur, mais clairement comme réalisateur.

Pour vous, comment définiriez-vous un bon film ?

Celui qui nous dérange ! Au sens littéral de celui qui nous sort de notre rangement, de notre conformisme, de notre habitude, de notre conscience a priori de nous-même, des traditions intellectuelles ou religieuses que nous respectons comme des idoles modernes. C’est celui qui nous fait sortir mais aussi qui nous enracine dans une histoire partagée, qui redonne du commun là où il n’y a plus que de l’individualisme, qui remet de l’individuel là où il y a de l’oppression. Pour le dire encore autrement c’est celui qui à sa manière répond à l’appel du prophète Ésaïe de renvoyer libres ceux qu’on écrase ( Ésaïe 58, 6-7).

De quelle façon abordez-vous la question « spirituelle » ou « chrétienne » dans votre rapport au cinéma ?

Vous aurez compris que pour moi le christianisme n’est pas dans les films religieux. C’est d’ailleurs le plus souvent dans les films explicitement religieux qu’il y et le moins. Surtout dans les films qui font l’apologie du christianisme et croyant le servir le réduisant à une idéologie comme une autre. Ce qui m’intéresse, c’est comment de grandes œuvres populaires, je pense à la série Avengers, Harry Potter ou encore Game of Thrones, ont des références religieuses qui ne sont pas forcément chrétiennes mais correspondent d’une part à la religiosité populaire mais contribuent aussi à former cette religiosité. Le cinéma mobilise tout un système de croyance en même temps que de valeurs. On le voit bien cette année à Cannes où la thématique des zombies est particulièrement marquée. Ce qui m’intéresse c’est comment le cinéma dit quelque chose de la manière dont l’humanité investit le religieux qui n’a jamais été aussi présent qu’aujourd’hui dans un monde qui se prétend pourtant sans Dieu.

Un dernier mot ?

La philosophe Simone Weil disait que ce qui empêchait notre époque de faire civilisation, c’est qu’elle a une fausse idée de la grandeur, un sentiment de dégradation de la justice, une idolâtrie de l’argent et une absence de conscience de la transcendance. Je suis pour ma part convaincu que le cinéma, par ce qu’il montre, ce qu’il révèle, ce qu’il critique, ce qu’il propose, contribue à relever ces quatre enjeux majeurs.


Protestant Minister and manager in charge of cultural and spiritual life in the Temple St Etienne in Mulhouse (UEPAL). He used to be in charge of communication in the « Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine » and was at the time manager of the Protestant media library in Strasbourg. He moderates a Pro-fil team as well as several theological websites for everyone.

How do you approach this Ecumenical Jury in Cannes ? What are your expectations, hopes and expectations ?

With great humility. We are part of a line of ecumenical juries that have awarded very great films and we must live up to this requirement. It also means meeting the expectations of those we represent. I am not talking about our Churches but about all those who are interested in the relationship between culture and spirituality. I am thinking of these groups of film lovers, these groups of parishes, readers of our Christian magazines who are waiting for our opinion to take it into account in their own reflection and appreciation of the films on offer. We always say to ourselves, "If the ecumenical jury chose it, it’s because it’s a good film, deep and intelligent, let’s go". It is this expectation that must not be disappointed. I’m only like a child in the best pastry shop in the world.

How did cinema get into your life ?

As is often the case, it is during childhood and adolescence that everything is played out, that the relationship that we maintain or not with culture is created. I come from a background where we rarely went to the movies and only for the Walt Disneys. But in the neighbourhood, there were two cultural centres and we went with the school, then it was time to go alone to see Terence Hill and Bud Spencer or Airplane !
We can never overstate the importance of these associative structures, which do an extraordinary job in the neighbourhoods or on the outskirts and are really the gateways to the world of cinema. One of my child’s structures still exists today is the Bel-Air cinema in Mulhouse, a unique art house with a superb team that fights every day to continue. They deserve a real hat trick that will be a recognition for these school outings, all these neighbourhood cinemas or film clubs all over France. We see some amazing things in it. When you come from a working class background, you need mediation, structures that help you discover what exists and what is different from your reality while corresponding to it, in order to be able to be included in a collective narrative.
By that I mean that even in an adventure story set in the 12th century in China, what will make the difference between entertainment and a movie is the correspondence with what we each experience, here and now in our context. In other words, cinema is entirely in this gap between what I experience, what I am, whether individually or in society, and the story being told to us. But the gap does not mean separation, on the contrary, the cinematographic gap is what connects, puts in tension, in contradiction, in attraction or in repulsion, in short what moves, mobilizes, motivates. To use Antonio Damasio’s neologism, cinema is what "stings" us rather than "impedes" us. In other words, what helps us to criticize, to understand, to act, to become in a certain way the actors of our lives, individually or collectively. That is why I am very sensitive to films that show us individuals or groups taking or retaking control of their destiny.

What are the 3 major films for you ?

I would probably change my mind tomorrow morning because the relationship we have with films changes over the years, with the situations we are going through. So it doesn’t really matter that I was upset by this or that movie that would be major for me or that I would put in the Hall of Fame. But what determined my relationship with the cinema I was just talking about was Otto Preminger’s The Man with the Golden Arm, whom I saw as a teenager at the Cinema de Minuit on french television. The precise moment when Frankie, played by Franck Sinatra, is going to take up heroin again made me aware, both of the fragility of our resolutions and of our weakness in our human condition, but also of the relevance of the biblical choice : "I have put life and death before you, choose life so that you may live" (Deuteronomy 30:19). This biblical alternative, but which is also that of all cultures, places and times, which feeds so many films, is also that of our individual or collective lives. With The Man with the Golden Arm, I became aware both of this alternative and of the fact that many films have biblical references in subtext. This is particularly true of Anglo-Saxon cinema, which is deeply imbued not only with Christianity but with biblical culture in the broadest sense.

Similarly, do you have a "favorite" director ?

I am an unconditional follower of Clint Eastwood who digs precisely this furrow that I mentioned earlier : how an individual, or a group, takes or takes back the reins of his existence. This is particularly the case in a film that I think is underestimated and unfairly despised by critics, The Warlord or how a Marine instructor makes a squad of losers realize its value. It is not the instructor who succeeds but the squad that will reveal itself to itself for what it is. It is not the lone rider who saves the villagers but the miners of Pale Rider who regain confidence in their ability to act and resist. In my opinion, this is a constant in all his films, often already as an actor, but clearly as a director.

What do you think a good film is ?

The one that bothers us ! In the literal sense of the one who takes us out of our order, our conformism, our habit, our a priori self-awareness, the intellectual or religious traditions that we respect as modern idols. It is the one who makes us leave but also who roots us in a shared history, who gives back common where there is only individualism, who gives back individualism where there is oppression. To put it another way, he is the one who in his own way responds to the call of the prophet Isaiah to set free those who are crushed (Isaiah 58:6-7).

How do you approach the "spiritual" or "Christian" dimension in your relationship with cinema ?

You will have understood that for me Christianity is not in religious films. It is most often in explicitly religious films that there is the least. Especially in films that promote Christianity and believe they serve it by reducing it to one ideology like any other. What interests me is how great popular works, such as the series Avengers, Harry Potter or Game of Thrones, have religious references that are not necessarily Christian but correspond on the one hand to popular religiosity but also contribute to forming this religiosity. Cinema mobilizes an entire belief system as well as values. This can be seen this year in Cannes, where the zombie theme is particularly strong. What interests me is how cinema says something about the way humanity invests the religious who has never been as present as today in a world that claims to be without God.

A last word ?

The philosopher Simone Weil said that what prevented our time from becoming civilized was that it had a false idea of greatness, a feeling of degradation of justice, an idolatry of money and a lack of awareness of transcendence. I am convinced that cinema, by what it shows, what it reveals, what it criticizes, what it proposes, contributes to addressing these four major issues.