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Drive my car

Compétion Officielle
Drive my car

Nationalité : Japon
Genre : Drame Romance
Durée : 2h59
Date de sortie : 18 Aout 2021
Réalisateur : Ryusuke Hamaguchi
Acteurs principaux : Hidetoshi Nishijima, Toko Miura, Masaki Okada, Reika Kirishima

Alors qu’il n’arrive toujours pas à se remettre d’un drame personnel, Yusuke Kafuku, acteur et metteur en scène de théâtre, accepte de monter Oncle Vania dans un festival, à Hiroshima. Il y fait la connaissance de Misaki, une jeune femme réservée qu’on lui a assignée comme chauffeure. Au fil des trajets, la sincérité croissante de leurs échanges les oblige à faire face à leur passé.


(L'avis exprimé par les rédacteurs de cette rubrique est indépendant du travail et des choix du Jury oecuménique.)

Drive my car, le onzième long-métrage du réalisateur japonais Ryusuke Hamaguchi, est une histoire de deuil. Le deuil d’une mère, d’un enfant, d’une femme, d’un amour. Le film ne commence vraiment qu’après la mort de l’épouse du personnage principal, Yusuke, un metteur en scène de théâtre. C’est à ce moment-là que le générique donne le nom des acteurs et que pour Yusuke une nouvelle vie débute, en route, dans sa voiture. Sa voiture justement, c’est son lieu intime, celui qui lui rappelle sa femme disparue, toujours présente par le son de sa voix enregistrée. La voiture, rouge, ancienne, particulière, est un personnage en elle-même. C’est elle qui fait évoluer les individus, c’est le lieu de la rencontre et de la révélation. C’est quand Yusuke est forcé de se laisser conduire par une jeune femme, que tout va changer petit à petit. Entre les deux êtres endeuillés se développe une relation père/fille. Il devient le père qu’elle n’a jamais eu et elle, la fille qu’il a perdue. Les deux se sentent coupables d’avoir tué un être cher juste en ne faisant rien, en n’agissant pas, ou en n’étant pas là. La catharsis mène à l’épiphanie et tous les deux verront finalement la lumière au bout du tunnel.


Amour d’un couple à la dérive,
En errance d’écriture
En souffrance d’une autre rive
Impossible d’oublier
A Hiroshima son amour.

Kafuku se réfugie chez Tchekhov
Où le bonheur de chacun s’entrecroise
Il extirpe la souffrance de chaque être,
Il réconforte par des mots inaudibles,
Il console par les gestes sublimes,
Dans une superbe chorégraphie des signes

Kafuku épanchera son âme
Misaki étanchera ses larmes
Par des moments de doux silence
Dans une étreinte indicible
De ces instants de l’invisible.


Et si la voiture rouge de Drive My Car était le personnage principal ? Beaucoup d’intérieurs dans ce magnifique film : l’habitacle d’une voiture, la salle de répétition de la pièce Oncle Vania, les bars, la salle de théâtre… tous ces lieux où le réalisateur construit des temps de dialogues et d’écoute. Mais c’est surtout à l’intérieur de cette voiture rouge que Yusuke Kafutu, acteur et metteur en scène, va se livrer de plus en plus auprès de Misaki qui joue le rôle de sa conductrice. Kafutu (ce nom veut dire « bonheur à la maison »), n’est visiblement pas heureux, c’est un homme de silence, au visage fermé et au regard sans émotion, affichant des secrets et des non-dits qui seront révélés vers la fin du film. Entre la conductrice et son passager, de milieux et d’âges différents, une relation sincère va se mettre en place autour d’échanges de plus en plus intimes sur l’amour, la culpabilité, le deuil, la souffrance, les blessures cachées, les affres du passé… Kafutu aura une phrase remarquable vers la fin du film : « on va devoir vivre... on va y arriver ».
Silence et écoute jouent également un rôle fondamental dans cette œuvre, où les récits se mêlent, se superposent, se croisent, où chacun raconte des histoires, se confie ou répète des scènes de théâtre. Lors d’une audition, Kafutu choisit une actrice qui s’exprime dans la langue des signes.
Avec Drive My Car, adaptation d’une des nouvelles parues dans le recueil d’Haruki Murakami Des hommes sans femmes, Ryusuke Hamaguchi cinéaste de l’intime, nous livre une œuvre complexe, atypique.


Le film dure 2 h 59 qu’on ne voit pas passer (on en redemanderait presque) tant le propos est foisonnant. De quoi ça parle ? De tant et tant de choses, comme souvent avec Ryusuke dont nous avions tant aimé Senses et Asako 1 et 2 en 2018, et comme souvent avec Murakami, auteur de la nouvelle qui inspire ce film. D’amour d’abord, de mort, de deuil (possible/impossible), de culpabilité, des mots dits et des mots retenus, de fiction et de réalité (et de ce qu’on est capable d’en percevoir), de la vérité des êtres ou de leurs mensonges, de colère, de violence et de consolation…
Au fur et à mesure, la narration s’enrichit, les récits se superposent, se croisent, se répondent, le tout reste d’une limpidité totale, par la magie d’une mise en scène fluide et élégante et d’acteurs proprement époustouflants (avec une mention spéciale pour l’actrice Toko Miura qui joue le rôle du chauffeur dans la deuxième partie).
Les plans, qu’ils soient serrés – une bonne partie du film est tournée dans le huis clos de la voiture – ou larges, sont d’une saisissante beauté.
Complexe, émouvant et profond, c’est un film d’une grâce absolue. Et qui mériterait la Palme d’or, selon mon modeste avis (mais je suis sûre de ne pas être la seule à penser ainsi ! ).