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Jauja

Un certain regard
Jauja

Nationalité : Américain, argentin, danois, mexicain, allemand, français, néerlandais
Genre : Drame
Durée : 1h48min
Réalisateur : Lisandro Alonso
Acteurs principaux : Viggo Mortensen, Ghita Norby, Viilbjork Malling Agger

Les Anciens disaient que Jauja était, dans la mythologie, une terre d’abondance et de bonheur. Beaucoup d’expéditions ont cherché ce lieu pour en avoir la preuve. Avec le temps, la légende s’est amplifiée d’une manière disproportionnée. Sans doute les gens exagéraient-ils, comme d’habitude. La seule chose que l’on sait avec certitude, c’est que tous ceux qui ont essayé de trouver ce paradis terrestre se sont perdus en chemin.


(L'avis exprimé par les rédacteurs de cette rubrique est indépendant du travail et des choix du Jury oecuménique.)

Le bout du monde est fait de rochers herbus parsemés de trous d’eau au bord d’une mer froide, avec otaries et oiseaux. Sont perdus là aussi quelques militaires, dont un capitaine danois ingénieur du chantier, et sa fille. La prochaine femme doit être à mille kilomètres. La fille disparaît, le père part à sa recherche. Les bottes du capitaine le font glisser et trébucher dans la rocaille, et la vieille femme qu’il découvre enfin dans une grotte est sa fille ; dehors, l’été a laissé place à l’hiver enneigé, et le film se termine dans un manoir danois postérieur de quelques siècles à ce qui précède.

L’histoire n’en est pas une, tout ici est symbole, et la quète du père ne peut qu’être vaine car "tous se sont perdus en cherchant la Jauja", mythique paradis terrestre. Appelons cela surréaliste, laissons chacun s’amuser au décryptage, et profitons sans rancune d’une narration sans queue ni tête mais au style captivant et riche en vues splendides - format diapositives. Un film tout en suggestions, qui laisse au spectateur le temps d’une longue méditation devant chaque plan, et le soin de tirer son propre fil entre les séquences.


Les paysages d’une aridité somptueuse transcrivent ceux de l’âme du capitaine (Viggo Mortensen), lancée dans une quête désespérée à travers le pays pour retrouver sa fille chérie. Il refuse l’aide d’un collègue (impossible de me souvenir de son grade) qui, après s’être masturbé dans un geyser, affirme sans sourciller qu’ils sont là pour exterminer la population locale. Une petite poupée de soldat que la fille avait trouvée dans le parc de sa demeure danoise et qu’elle avait jetée dans un étang, se retrouve sous ses pas sur une plage de Patagonie.

Tout est lié, et la vieille folle – ou prophétesse inspirée – que le père rencontre dans une grotte perdue, en compagnie du chien que sa fille avait au Danemark, semble être sa fille justement, et ses paroles résonnent en lui encore longtemps après l’avoir quittée. Ce film d’une grande beauté formelle n’a pas de fin et l’histoire qu’il raconte n’est que prétexte pour des images oniriques peignant les liens secrets entre les êtres et les choses, entre nos rêves et nos actes. Et si fin il y a, c’est celle d’une désolation absolue. Mais, quand on vient pour exterminer, quoi espérer d’autre que de s’exterminer soi-même ?