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La Frontière de l’Aube

La frontière de l'aube

Pays : France
Genre : Drame
Durée : 1h40
Date de sortie :
Avec : Louis Garrel, Laura Smet
Réalisateur : Philippe GARREL

Une star vit seule chez elle, son mari est à Hollywood et la délaisse. Débarque chez elle un photographe qui doit la prendre en photo pour un journal, faire un reportage sur elle. Ils deviennent amants. Ils vont habiter deux semaines à l’hôtel pour faire ce reportage et repassent de temps en temps à l’appartement de la star...


(L'avis exprimé par les rédacteurs de cette rubrique est indépendant du travail et des choix du Jury oecuménique.)

Aimer jusqu’à la folie, aimer à en mourir…

Qui, aujourd’hui, est encore capable de miser, donc de tout risquer, sur une histoire d’amour ? Qui, encore, mû par une telle quête d’absolu qu’il fait de l’autre le support de ses pulsions les plus intimes (et les plus mortifères), est capable de tendre à l’éternité ?

Réponse : les amants de Philippe Garrel.
Dans une mise en scène sobre –donc d’aucuns disent qu’elle est inexistante- évoluent Laura Smet et Louis Garrel, accompagnés par une lumière qui transcende le noir et blanc. Certains plans sont si sophistiqués qu’ils acquièrent l’immobilité de la photographie.
Autre réponse : quelques personnes ou, vous et moi… Ceux dont l’exigence conduit la relation amoureuse à son paroxysme. Ceux dont la demande affective et le questionnement existentiel paraissent excessif dans ce monde de « normalité ». Ceux que l’on voit arriver aux urgences après avoir ingurgité alcool et barbituriques. Cela vous rappelle forcément quelque chose non ? Ah ! vous ne connaissez personne qui…

Tourmentée, désespérée, Carole-Laura, enfermée dans sa recherche de la confiance réciproque à tout prix, se fait mal, très mal. Et, malgré son désir de lui échapper, François-Louis accepte en quelque sorte les règles qu’elle dicte. Elle viendra le chercher jusque dans ses rêves… Miroir, reflet, distance : allers-retours que rythme le son du violon de Didier Lockwood.
Certes, la réalité devient cauchemar, mais qu’en est-il de l’espoir de réaliser son rêve ?


Philippe Garrel a toujours été un poète, depuis ses débuts, avec "La cicatrice intérieure", en 1970. Les poètes sont des esprits libres, ils peuvent toujours dérouter, comme il le fait ici, par des "apparitions" de Carole (Laura Smet). Pour apprécier ce film, peut-être faut-il relever d’abord la place centrale de la musique, et en particulier du violon : on est en plein romantisme, toute la première partie rappelle les grandes amours romantiques du 18ème ou 19ème siècles. Philippe Garrel est un romantique, un amoureux de l’absolu, tpoujours à la recherche d’un dépassement du monde, par la révolution (depuis mai 68), par l’amour ou par l’art. Or ici, que désire Carole, dans sa rencontre avec François (Louis Garrel) ? Elle le lui dit dès le début : un amour absolu, qui résiste à tout, à la folie, au vieillissement, à la mort. François n’en est pas là, il en est encore au plaisir de la relation, et il prend à l’occasion ses distances avec elle, exactement comme l’héroïne (Jeanne Balibar) dans le dernier film de Jacques Rivette, "Ne touchez pas la hache". C’est ce que le film appelle "la loi des essuie-glaces" : quand l’un s’approche, l’autre s’éloigne. François s’engage dans une autre aventure, plus raisonnable, mais comme le lui dit son ami "le bonheur embourgeoisé est aussi une épreuve". Dès le départ, Carole avait parlé d’éternité. Mais comment rejoindre l’éternité, comment vivre un amour absolu ? Philippe Garrel est un enragé radical. Il pousse sa logique jusqu’au bout, tout à fait dans la veine des grands romantiques. Et il le fait en conservant ses qualités majeures d’artiste : les cadrages, les gros plans, les photographies en noir et blanc sont éblouissantes. Un film de haute volée, qui appelle réflexion, même si son accès échappe à certains.


Pour l’inconditionnel de Philippe Garrel que je suis depuis 40 ans il n’y a que deux attitudes en face de son dernier film : ou bien considérer qu’une attente trop haute a été déçue par le retour du réalisateur, sans vrai renouvellement de la forme, aux angoisses suscitées en lui par les thèmes de l’alcoolisme et de la dépression qu’il a si souvent abordés, ou bien se désoler de la platitude et du naturalisme du déroulement en deux temps de cette histoire d’amour avortée : sa naissance frénétique sans vrai épanouissement et son déclin marqué par le suicide successif des amants. Où sont le lyrisme , la mélancolie , l’amour fou, la fantaisie auquel nous a habitués le cinéaste ? Louis Garrel dans son registre habituel nous séduit certes mais se caricature un peu, tandis que le tracé pathologique du rôle de Laura Smet ne facilite pas un travail d’actrice quelquefois laborieux. Enfin le contraste entre des passages presque cliniques (un électro-choc comme on n’en fait plus) ou de vaudeville (l’arrivée nocturne du mari) et la réapparition sans mystère de Carole après sa mort dans le miroir de François provoque une rupture de la fluidité poètique du récit. Il n’en reste pas moins la beauté des images en noir et blanc du fidèle chef opérateur de ce mythique réalisateur.