
Le film Jeunes Mères de Jean-Pierre et Luc Dardenne a obtenu le prix du jury œcuménique au 78ème Festival de Cannes, ainsi que le prix du scénario du Palmarès officiel.
Les motivations du choix du Jury œcuménique sont les suivantes : "le Jury œcuménique décerne son prix à un film qui aborde les difficultés des mères adolescentes accueillies en maison maternelle. Il illustre une approche éthique non pas par de grandes démonstrations mais par des gestes bienveillants. C’est une histoire racontée avec douceur dans la meilleure tradition des auteurs qui, une fois de plus, sont capables d’apporter de la nouveauté à leur style épuré".
Le film explore la première et essentielle relation de toute vie humaine : la maternité. Cela nous ramène à une vérité profonde : l’amour peut perdurer, même quand la famille - cette structure sociale fondamentale - est défaillante, quand les circonstances sont défavorables, quand la responsabilité des adultes pèse sur la jeunesse. Ce film nous révèle que même les petits gestes persistants d’affection et de soin, qu’ils proviennent de personnes ou d’institutions, peuvent guérir les blessures les plus profondes.
Ce n’est pas la première fois que le Jury œcuménique récompense les frères Dardenne : par deux mentions, pour Rosetta en 1999 et pour Le fils en 2002, ainsi que pour les 40 ans du jury œcuménique en 2014, par un hommage spécial au cinéma des frères Dardenne .
« Nous avons essayé d’être au plus près du moteur de chacune, en nous laissant guider par la nécessité interne de chaque trajectoire, dans et en dehors de la maison maternelle, de manière à faire un film qui, tout en étant un portrait de groupe, est d’abord cinq portraits de jeunes mères vivant chacune son histoire faite de situations sociales et de relations affectives personnelles. » ont dit les deux cinéastes à propos de Jeunes Mères.
« À la suite de ce séjour dans la maison maternelle, nous avons eu le désir de faire un film non plus avec un personnage principal, mais avec quatre personnages principaux et un cinquième dont l’histoire est plus brève. Pour rassembler cinq histoires en un film, notre souci a été de ne pas tomber dans des effets de construction, de ne pas concevoir les histoires individuelles dans la seule optique d’une histoire globale qui, par exemple, serait l’histoire d’un lieu, en l’occurrence la maison maternelle »...« On n’explique jamais nos personnages. Ils doivent avoir en eux un noyau, quelque chose qui résiste aux interprétations les plus savantes. »
Les frères Dardenne font déjà partie de la grande Histoire du Festival de Cannes et du club des neuf réalisateurs aux deux Palmes d’or - Francis Ford Coppola, Shōhei Imamura, Emir Kusturica, Bille August, Michael Haneke, Ruben Östlund et Ken Loach.
Jean-Pierre et Luc Dardenne ont depuis la fin des années 70 construit une grande oeuvre cinématographique, dans une veine sociale et politique.
Depuis leur troisième long métrage, La Promesse, en 1996, présenté à la Quinzaine des cinéastes, les frères Dardenne ont présenté tous leurs films sur la Croisette, pour dix passages en compétition, en comptant Jeunes Mères. Et ils ont moissonné de nombreux prix : deux Palmes d’or pour Rosetta en 1999 et L’Enfant en 2005, le prix du scénario pour Le Silence de Lorna en 2009, le Grand prix du jury pour Le Gamin au vélo en 2011, le prix de la mise en scène pour Le Jeune Ahmed en 2019 et le prix du 75e anniversaire pour Tori et Lokita en 2022. Un palmarès incroyable auquel on peut ajouter le prix d’interprétation masculine pour Olivier Gourmet en 2002 pour Le Fils .
Les héros des films des frères Dardenne sont toujours et tous en situation précaire : travailleur immigré exploité, jeune femme au chômage, migrante, garçon délinquant essayant de d’insérer dans la société, jeune couple incapable d’assumer le bébé qui vient de naître, gamin abandonné par un père immature, ouvrière menacée de chômage... Les héros courent tous dans les films des frères Dardenne, en vélo, en moto, en voiture, en marchant vite et de façon inquiétante... Ils semblent tous tendus vers l’objet de leur désir, inquiets jusqu’à ce qu’ils l’aient atteint. Vers quoi courent-ils ? Vers un quête de sens ?
Le cinéma des frères Dardenne s’inspire de la philosophie d’Emmanuel Levinas qui met en place une moral relationnelle, notamment par rapport à la fraternité. Pour Emmanuel Levinas, la relation à autrui, la relation au visage est toujours une relation éthique. Dans tous leurs fils les frères Dardenne scrutent les visages, mais avec discrétion, à la bonne distance, dimension à la fois éthique et esthétique.
Le cinéma des frères Dardenne est un appel à la responsabilité surtout vis-à-vis des plus vulnérables et des plus pauvres. Ils relatent l’injustice sociale, la détermination des personnes dans la détresse, la vie d’êtres humains qui se battent jusqu’ au bout pour s’en sortir. Ils suivent leurs héros et ne les lâchent jamais d’une semelle, de côté, de face, de profil. Jamais la caméra ne filme d’aussi prés une personne, caméra à l’épaule ou à portée de main, longs plans-séquences qui adhérent aux propos en même temps qu’au suivi du personnage. Cette proximité donne un rythme, une émotion qui permet d’atteindre la vérité des âmes.
Tous leurs films nous font prendre le temps de regarder ce que voient ces hommes et femmes maltraités par la vie et qu’ils filment avec tant d’humanité et de fraternité. Les films des frères Dardenne nous invitent à regarder par dessus l’épaule de ce qui émeut, déchire et remet debout leurs héros. Elle est là, la force du cinéma de Jean-Pierre et Luc Dardenne : raconter tant de choses sur notre société et sur notre humanité avec si peu d’intellectualisation, si peu d’explications, si peu de certitudes. C’est une très belle leçon de fraternité et d’humanité.