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La leçon de musique d’Alexandre Desplat et Guillermo Del Toro

La leçon de musique d'Alexandre Desplat et Guillermo Del Toro

C’est une première ! Jamais auparavant Guillermo Del Toro n’avait partagé une conférence à deux voix. Sa complicité naturelle avec le compositeur Alexandre Desplat est flagrante sur la scène de la salle Buñuel du Palais des Festivals. Les deux artistes partagent leurs souvenirs d’enfance, leurs débuts au cinéma et les dessous de leur collaboration fructueuse.

Alexandre Desplat est arrivé à la musique de film par hasard. Il a d’abord été influencé par la troïka des compositeurs de la Nouvelle Vague : Maurice Jarre, Michel Legrand, et Georges Delerue. Ses idoles d’adolescents étaient les cinéastes du Nouvel Hollywood. Ce qu’il aime dans le cinéma, c’est que tout est possible en matière de musique. Il peut s’inspirer de toute une mosaïque de cultures. L’imaginaire est le mot clé. Un bon créateur est celui qui arrive à donner corps à son imaginaire.

Il fait ses débuts en composant pour les cinéastes Robert Guédiguian et Franck Le Witta. Et même s’il se fait surtout connaître pour la chanson d’Éric Morena Oh mon bateau, c’est vers la musique de film qu’il se dirige irrémédiablement. Les premiers films anglo-saxons pour lesquels il compose vont changer sa carrière. Il y a La jeune fille à la perle en 2003 et Birth pour lequel il s’enferme deux jours entiers avec le réalisateur Jonathan Glazer et le producteur du film dans son studio parisien pour travailler ensemble sur la musique.

Alexandre Desplat s’intéresse davantage aux personnages qu’à l’action d’un film. D’ailleurs il a peu travaillé pour des films d’action. La musique, dit-il, commence au début et accompagne le film chronologiquement jusqu’à la fin. Il la compare au flot d’une rivière qui va du commencement jusqu’à l’aboutissement du film de façon horizontale. Un compositeur devient aussi un réalisateur, en ce sens que la musique peut faire basculer le récit, comme dans le film d’animation de Michel Hazanavicius La plus précieuse des marchandises où le personnage du bucheron passe du bon côté de l’histoire et devient un « juste », accompagné par la musique.

Le compositeur français aime utiliser des objets émotionnels, qu’il partage avec Guillermo Del Toro, alors que celui-ci le guide vers l’esthétique du film. Étant mexicain, le réalisateur est très émotionnel lui-même et lance au public, tel un slogan : " Emotion is the new punk " ! C’est un fan de cinéma depuis l’enfance. Le parrain de Coppola ou Les dents de la mer de Spielberg sont ses films cultes. Les musiciens qu’il admire viennent du jazz. Les compositeurs l’impressionnent car c’est quelque chose qu’il ne sait pas faire.

La première fois qu’il a travaillé avec Alexandre Desplat, il a suivi et participé au processus de création du début à la fin. Pour eux, la caméra est la première note de musique. Quand le film bouge, c’est qu’il essaie de parler et la musique lui donne sa voix. Guillermo Del Toro pense Spielberg comme un compositeur de film et John Williams comme un cinéaste. La musique fait tout de suite repenser au film lorsqu’on l’écoute, comme dans la scène d’ouverture des Dents de la mer qui l’a beaucoup marqué.

Desplat admet également que la caméra a un mouvement musical. Dans La forme de l’eau, la musique est la voix des personnages qui sont muets. Le compositeur décide des mélodies en amont, mais quand il voit le film, il devient un des acteurs, il est dans le film et alors son rôle de compositeur disparait. Dans le film, le personnage féminin siffle en attendant le bus. Aussi, le fait de siffler devient le thème musical principal. Desplat, qui est flûtiste de formation, se fait alors siffleur pour le film.

Il dit que chaque metteur en scène a son propre rapport avec la musique et que Guillermo Del Toro est ouvert aux propositions. Il a besoin de sentir la confiance du réalisateur et de pouvoir échanger avec lui des idées artistiques. Del Toro estime qu’il est important pour un réalisateur d’écouter les acteurs, les techniciens et bien sûr le compositeur et que, quand deux personnes sont d’accord sur tout, alors l’une d’elles doit partir. Le seul instant de la réalisation d’un film où Del Toro se dit étonné est au moment de la composition. Le film te dit ce qu’il doit être et comme cinéaste, il doit te parler, confie-t-il.

Dans la comédie musicale Pinocchio tournée en Stop Motion, la musique s’adapte au thème de la perte et du deuil et à l’époque mussolinienne. Dans le film Philomena, Desplat a essayé d’être authentique dans sa composition car le personnage principal est une infirmière qui travaille de ses mains. Si la musique est simple, c’est pour mieux coller au personnage et révéler ce qu’il est. Desplat avoue qu’il est difficile d’écrire une bonne mélodie. On se couche et on se lève jusqu’à ce qu’on trouve la bonne. C’est un processus assez obsessionnel.

Pour leur prochaine collaboration, Frankenstein, Desplat a déterminé un thème pour chaque personnage. Il trouve le cinéma de Del Toro assez lyrique, aussi il y aura du lyrisme dans la musique qu’il a composée. Il ne s’agit pas d’un film d’horreur mais bien d’une histoire d’un père et de son fils, remplie d’émotion. On en revient encore et toujours aux émotions. Dans ce monde, les gens ne se voient pas et ne se regardent pas comme ils le devraient, conclut Guillermo Del Toro.

Puis vient le temps des cadeaux et des embrassades. Mais une question reste en suspens : À quand un prix de la meilleure musique de film intégré au palmarès du Festival de Cannes ? Cécile Rap-Veber, la directrice de la Sacem, insiste lourdement... La salle comble explose de cris et d’applaudissements. Thierry Frémaux, le délégué général du festival, se dérobe poliment… mais son petit sourire gêné et ses yeux émus sont plutôt de bon augure !

Quelques images de la leçon de musique ici