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The Shameless

Un certain regard
The Shameless

Nationalité : Bulgarie, France, Suisse
Genre : Drame,Thriller
Durée : 1h 54min
Date de sortie : Prochainement
Réalisateur : Konstantin Bojanov
Acteurs principaux : Mita Vashisht, Auroshikha Dey, Tanmay Dhanania

Rani, une prostituée indienne annonce à sa famille qu’elle part en pèlerinage dans un temple lointain. Le voyage va constituer pour elle une occasion de réfléchir sur son passé tumultueux, notamment son histoire d’amour de jeunesse avec une autre fille, Renuka, à présent incarcérée à perpétuité pour meurtre à Bangalore, une ville qui se trouve justement sur le chemin de Rani.


(L'avis exprimé par les rédacteurs de cette rubrique est indépendant du travail et des choix du Jury oecuménique.)

La bonté n’est vraiment pas de ce monde. Et surtout pas dans le sud de l’Inde où se situe la communauté devadasi. L’innocence des filles y est violée sous le regard complice de leurs mères et les hommes, simples quidams ou puissants, sont le reflet de la masculinité toxique.
Dans ce monde dépravé de toute part, il n’y a pas de personnage positif. Même l’homme qui aide Renuka à fuir et lui montre respect et affection est un tueur à gage.
L’amour est là pourtant, qui s’épanouit d’un regard et d’un sourire entre deux prostituées si différentes au départ. Seule la tendresse semble pouvoir sauver les deux protagonistes de la violence intrinsèque des hommes. Mais les femmes à l’innocence perdue ne peuvent pas s’en sortir et le cercle vicieux de la révolte et de la mort semble se répéter.
The Shameless, du réalisateur bulgare Konstantin Bojanov, est la suite en fiction d’un documentaire qu’il avait réalisé dix ans plus tôt sur les prostituées devadasi. Centré sur l’amour, la sexualité et le libre arbitre, le film dresse un tableau sordide du monde de la prostitution dans une société indienne aux traditions immuables et parfois violentes. Les gros plans sur le visage marqué ou rayonnant des deux héroïnes offrent la seule lumière qui émane de ce cloaque.


On ne peut regarder The shameless sans penser aux Nuits de Mashhad, présenté en compétition en 2022. Mais alors que le thriller prenait le dessus dans Les nuits de Mashhad, le film de Konstantin Bojanov se concentre plutôt sur le drame que vivent deux indiennes dans l’univers de la prostitution. Il nous livre un film à la fois très sombre et lumineux, profondément humain et bouleversant, sans rien édulcorer de ce qui est une tragédie.

Il est question ici de maisons closes où habitent également des enfants de prostituées, destinés à subir le même sort, vendus d’avance au plus-disant. Ces maisons sont interdites en Inde depuis bien longtemps, mais demeurent avec la négligence ou la complicité des autorités - ce que laisse entendre le scénario - avec le personnage d’un riche populiste en passe de gagner des élections.

Une toile de fond bien noire, mais qu’on se rassure, la mise en scène est pudique. La personnalité solaire de Renuka et sa compassion pour la très jeune Devika adoucissent le propos. Une relation d’amour « sans honte » s’établit entre elles. L’une est en fuite, l’autre prisonnière, toutes deux sont victimes d’un système mais avides de liberté. La première éveillera la seconde à la résistance.


Elles habitent toutes les deux le même pays, une Inde écartelée entre tradition et modernité. Mais quand la guerrière Renuka, au passé traumatisant et à la vie sulfureuse, surgit dans celle toute tracée de la femme-enfant Devika, l’une et l’autre s’en trouvent bouleversées dans leurs sentiments, autant que dans leur chair.
Manipulation, soumission, détermination se déploient à tour de rôle chez chacune d’elles dans un rythme soutenu donné par le réalisateur, soucieux de ne pas enfermer ses deux protagonistes dans leur prédestination.
Un prétexte aussi pour dénoncer avec subtilité une société qui peine à s’ouvrir, toujours empêtrée dans ses croyances ancestrales et une avidité répandue à tous les étages de la société.
Malgré le spectacle de déshumanisation qui traverse tout le film, il est donné par petites touches au spectateur d’espérer l’émergence du beau et du bien ; comme si le pouvoir de lire sur les lignes de sa main conférait à la victime (plus qu’à ses bourreaux) l’assurance de sauvegarder son libre-arbitre et de parvenir à une vie meilleure.